Tribune Libération
La crise sanitaire démontre la nécessité d’une reconnaissance juridique du droit à l’eau potable et à l’hygiène pour tous sur le territoire, tant métropolitain qu’ultra-marin.
La Coalition Eau et 39 associations françaises,dont le Secours Islamique France, ont publié une tribune d'interpellation sur le site de Libération intitulée : "Covid-19 et eau potable : l'Etat en première ligne", qui interpelle les pouvoirs publics pour agir face à la crise de l'eau, en France et à l'international.
Le geste est simple et la consigne maintes fois répétée: se laver les mains avec de l’eau et du savon est une règle d’hygiène de base qui sauve des vies face à la maladie de Covid-19. Mais pour 2,2 milliards de personnes, vivant sans accès à l’eau potable, ce conseil de bon sens est impossible à mettre en œuvre au quotidien: comment se laver les mains régulièrement si vous n’avez pas d’eau à disposition?
L’épidémie de Covid-19 rend visible de manière plus forte encore les injustices face à l’accès à l’eau. Aujourd’hui dans le monde, près d’un tiers de l’humanité n’a toujours pas accès à l’eau potable. Combien de temps ces personnes devront-elles encore attendre pour en bénéficier? L’eau est un service essentiel, un droit fondamental reconnu en tant que tel par les Nations unies: ce n’est pas un privilège. Les gouvernements doivent agir maintenant et de manière urgente et organisée, afin d’enrayer la crise.
Si la mise en place des gestes barrières comme le lavage des mains est au cœur des conseils au public, l’approvisionnement en eau potable doit être au cœur de l’action et des priorités gouvernementales. En France, le manque d’accès à l’eau pèse fort sur les personnes les plus vulnérables, en particulier les personnes précaires, vivant à la rue, dans des bidonvilles ou des squats. Avant la pandémie, 80% des squats et bidonvilles en métropole n’avaient aucun accès à l’eau (1) et 235 000 personnes vivaient à la rue ou dans des habitats de fortune (2). Au total, en France métropolitaine, il s’agit de plus d’un million de personnes vivant au quotidien sans un accès permanent et abordable à l’eau potable (3).
Situation dramatique dans les Outre-Mer
Dans les Départements et régions d’Outre-mer (Drom), la situation est encore plus catastrophique. A Mayotte, où plus de la moitié de l’habitat est constitué de cases en tôle, l’accès à l’eau courante est encore loin d’être généralisé dans les logements. Pour une large partie des habitants, l’approvisionnement en eau s’effectue grâce aux «bornes-fontaines». La Guadeloupe et la Martinique, confrontées à un manque d’eau structurel, connaissent des coupures d’eau quotidiennes de plus en plus nombreuses, qui rendent d’autant plus problématique la lutte contre la propagation de l’épidémie.
Ces situations sont d’une gravité exceptionnelle et appellent une action globale et urgente du gouvernement pour garantir l’accès à l’eau et aux dispositifs d’hygiène dans les Drom, au-delà des efforts structurels déjà engagés avant la crise (plan Eau-DOM). La crise sanitaire démontre la nécessité absolue d’une reconnaissance en droit français du droit à l’eau potable, à l’hygiène et à l’assainissement pour toutes et tous sur le territoire, tant métropolitain qu’ultra-marin.
Sous-financement chronique
En mars, les Nations unies et leur Secrétaire général, António Guterres, ont rappelé que des décennies de sous-financement chronique pour l’accès à l’eau potable exposent le monde à un risque accru de contagion et de mise en danger des populations face à l’épidémie de coronavirus. La disponibilité des installations de lavage des mains dans les pays à faibles et moyens revenus est très réduite. Au niveau mondial, 40 % des ménages ne disposent toujours pas d’installations de lavage des mains à l’eau et au savon. Près de la moitié des établissements de santé et près de la moitié des écoles dans les pays en développement en sont dépourvus.
La pandémie de Covid-19 s’ajoute aux risques déjà connus de contamination et de conséquences graves sur la santé dues à des maladies qui pourraient pourtant être évitées comme le choléra, la typhoïde, la diarrhée ou encore la fièvre de Lassa. Il est néanmoins encourageant de voir que des États prennent leur responsabilité en tant que responsables des services et régulateurs. Certains, comme la Zambie, ont émis une directive visant à ne pas couper l’approvisionnement en eau des populations pendant la durée de la crise. D’autres, comme le Ghana ou la Mauritanie, ont proposé d’absorber les factures d’eau des consommateurs pendant plusieurs mois. Enfin, plusieurs pays se sont engagés à fournir l’eau dans les établissements informels et lieux publics (Liberia, Rwanda et Afrique du Sud…) ou à augmenter les allocations financières pour améliorer le service.
En complément de cette mobilisation, la solidarité internationale est l’une des clés de la réponse sanitaire à l’épidémie. La France et les autres pays-bailleurs doivent mettre en place des mesures d’aide humanitaire d’urgence en matière d’accès à l’eau, à l’assainissement et à l’hygiène, en garantissant un financement additionnel et un appui technique rapides et flexibles aux pays où les taux d’accès à l’eau sont les plus faibles. Aux côtés et avec les populations marginalisées, les ONG sont des alliées pour le déploiement de dispositifs de lavage des mains, la distribution de kits d’hygiène, la mise en œuvre de campagnes de sensibilisation, au niveau communautaire mais aussi dans les infrastructures de soins et dans les écoles. Les associations de la campagne «L’eau est un droit !» rappellent que des solutions existent et appellent le gouvernement français à s’engager d’urgence et dans la durée pour les droits à l’eau et à l’assainissement.
(1) Selon l’enquête Novascopia, Programme national de médiation sanitaire, 2015
(2) Selon le rapport 2019 de la Fondation Abbé-Pierre
(3) Selon le rapport JMP OMS/UNICEF 2019