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Accès à l'éducation : Enfants talibés
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Renforcer l'accès des enfants talibés à leurs droits, c’est contribuer à leur insertion sociale, citoyenne et économique
Responsable adjointe de plaidoyer au Secours Islamique France, Laura Le Floch détaille le programme humanitaire sur le long terme mené par nos équipes en collaboration avec l’AFD. Il est notamment voué à permettre à ces enfants et jeunes très précaires, confiés par leur famille à un maître coranique dans des écoles non reconnues par les États, à avoir accès à un enseignement séculier et des formations professionnelles, ce qui leur ouvre des perspectives d’avenir. Des passerelles avec le système scolaire officiel sont créées, en partenariat avec les autorités locales. En 2020, ce projet avait été salué au Forum de Paris pour la Paix.
LES CLÉS DU PROJET
L’éducation, la protection et le bien-être de l’enfance sont au cœur des préoccupations du Secours Islamique France, qui intervient là où les besoins l’exigent. D’où l’un des projets phares de notre ONG, cofinancé par l’Agence Française de Développement qui vise à favoriser l’inclusion sociale des enfants et jeunes talibés au Sénégal et au Mali, deux pays du Sahel.
Issus de milieux précaires, les enfants talibés sont confiés par leurs parents pour leur éducation religieuse à un maître coranique dans des écoles coraniques traditionnelles non reconnues par les Etats. Le maître les prend en charge sans moyens. Cette pratique est très répandue en Afrique de l’Ouest. Rien qu’à Dakar, les talibés sont estimés à 200 000 répartis, dans 2 000 écoles !
Malheureusement, le quotidien de ces enfants est extrêmement difficile, marqué par la mendicité, l’insécurité alimentaire, le manque d’accès à l’eau, la promiscuité de locaux insalubres, ou encore l’exposition aux abus et aux violences. Leur avenir est d’ores et déjà compromis : ces écoles coraniques se limitent essentiellement à un enseignement religieux.
Ainsi, les maîtres ne suivent pas le programme national, ne dispensent pas ou peu d’enseignement de base, et ne délivrent pas de diplôme. Dans ces conditions, il est pratiquement impossible pour les enfants, une fois adultes, de réussir leur insertion sociale, citoyenne et économique. Pour les y aider, et notamment les sortir du carcan unique des écoles coraniques, le SIF adopte une approche globale.
Ce projet a été primé en tant que solution innovante, devant être répliquée à grande échelle, au 3e Forum de Paris pour la Paix, en 2020. Il avait alors été sélectionné, en amont, parmi les 100 programmes présentés lors de l’évènement, sur 900 candidatures. Le jour J, il avait été retenu comme l’un des dix projets les plus pertinents par le jury.
Cette reconnaissance lui a permis de bénéficier du parrainage de deux mentors : Stefania Giannini, Sous-Directrice générale pour l’Education à l’UNESCO, Olivier Lavinal, Responsable de programmes (crises et fragilités) à la Banque Mondiale.
En outre, le SIF a forgé son expertise sur la problématique depuis longtemps : après le Sénégal en 2014, puis le Mali en 2016, nos équipes ont déployé le projet d’inclusion sociale des talibés au Burkina Faso à partir de 2022, puis au Tchad l’année d’après. Ce dernier pays a d’ailleurs fait l’objet, très récemment d’un reportage sur la radio RFI.
DÉCOUVRIR LE REPORTAGE

Comment le Secours Islamique France soutient-il les enfants et jeunes talibés ?
L’un des aspects du projet consiste à appuyer les maîtres coraniques pour qu’ils puissent couvrir les besoins fondamentaux des talibés. Le SIF s’assure notamment qu’ils puissent manger à leur faim. Nous veillons également à leur sécurité et à leur bien-être, ce qui peut passer par la réhabilitation des écoles. Nos équipes font aussi en sorte de protéger leur santé en réhabilitant des infrastructures d’eau et d’assainissement. Nous facilitons aussi leur accès aux soins médicaux via une mutuelle. Cette phase est très importante pour créer une base solide, complémentaire du travail de fond de nos équipes. Nous multiplions également les efforts pour renouer les liens avec les familles.
« Enrichir l’enseignement de cours séculiers, et créer des passerelles avec le système scolaire officiel »
En quoi consiste ce travail de fond ?
Si améliorer leur cadre de vie est indispensable, le SIF multiplie les efforts pour favoriser leur accès à une éducation de qualité. Ainsi, nous faisons en sorte de les équiper en matériel scolaire, d’enrichir leur enseignement via des cours de matières générales (lecture, écriture, calcul, français…) au quotidien, de créer des passerelles avec le système scolaire officiel, de les accompagner dans des formations professionnelles, et même de les aider à créer leur activité génératrice de revenus, le moment venu.
« Des enfants, qui se projetaient comme maître coraniques, se voient désormais médecins, avocats, professeurs, commerçants… »
Quel est l’objectif ?
Il est très clair ! En soutenant ces enfants et ces jeunes sur le long terme, les équipes du SIF contribuent à leur ouvrir d’autres opportunités et choix de vie, hors du cadre religieux. D’ailleurs, nous avons interrogé des élèves en début de programme, la plupart se voyaient devenir maîtres coraniques dans l’avenir. On leur a reposé la question à la fin, après des séances éducatives, psychosociales, récréatives ou auprès de la communauté locale. Beaucoup avaient évolué et s’étaient ouverts à de nouvelles perspectives, ils s’imaginaient, par exemple, médecin, avocat, professeur, commerçants…
Le SIF travaille donc à leur ouvrir des perspectives d’avenir…
Oui. Pour ces enfants, de telles perspectives auraient été absolument impossibles sans ce projet. Beaucoup d’entre eux n’avaient même pas d’existence légale, faute d’acte de naissance, ce qui les empêchaient, de facto, de s’inscrire dans une école publique, même s’ils le souhaitaient. C’est pourquoi le travail de plaidoyer que nous effectuons auprès des autorités locales est aussi très important.
Pouvez-vous développer ?
Si l’offre éducative coranique non formelle était encore faiblement prise en compte par les politiques publiques des pays sahéliens, il y a à présent une volonté des Etats sahéliens de réformer leurs systèmes éducatifs pour les intégrer à leurs stratégies éducatives et pour les réguler. Fort de son expérience, le SIF œuvre pour que des actions à grande échelle soient entreprises pour leur éducation et protection. Par exemple, nous avons contribué à créer au niveau national et sous-régional des cadres de concertation entre ministères compétents et organisations de maitres coraniques. C’est très important pour que les changements soient profonds, et durables.
UN PROJET EFFICACE : 90 % DES OBJECTIFS ATTEINTS
Le programme d’inclusion des enfants et jeunes talibés prouve son efficacité via des résultats tangibles : voici l’exemple de la dernière phase du projet cofinancée par l’AFD au Sénégal :
- 2 665 talibés accompagnés, dont plus de 900 filles
- Plus de 500 talibés qui n’avaient pas d’identité légale ont obtenu leur certificat de naissance
- 1 440 talibés affiliés à la Couverture Maladie Universelle
- Des cours séculiers pour 1025 enfants : lecture, écriture, calcul, français...
- 110 activités ludiques et socio-éducatives : développement personnel, sport...
- 300 talibés formés à divers métiers, puis accompagnés dans leur activité
- 81 jeunes talibés intégrés dans des ateliers de formation professionnelle avec accompagnement individualisé
VIDEO : AU CŒUR DU PROJET
AU SAHEL, LA PEUR DE L’AVENIR D’UNE JEUNESSE QUI SE SENT ABANDONNÉE
Au Sahel, les projets d’éducation et de protection de l’enfance sont essentiels pour la paix, alors que les jeunes y subissent une forte dégradation socioéconomique, environnementale et sécuritaire. Face au chômage, à la pauvreté, mais aussi au manque d’espaces d’expression ou de loisirs, la jeunesse sahélienne se trouve dans une forte situation de vulnérabilité et peut tendre vers la violence.
Les frustrations et la perte de confiance en l’avenir trouvent aussi une justification dans cette exclusion subie dès l’enfance. La problématique des talibés éclaire la situation d’autres millions d’enfants, les invisibles, ceux qui restent ignorés. Ce constat apparaît clairement parmi les nombreuses informations, ressentis et témoignages recueillis à l’occasion d’une enquête menée auprès de 1 500 jeunes sahéliens de 14 à 25 ans en 2022.
Commanditée par le Secours Islamique France (SIF), cette enquête a été réalisée sur le terrain par l’institut de sondage OpinionWay, avec le soutien du Ministère de l’Europe et des Affaires Étrangères. Cette étude était au cœur des débats et analyses du Colloque International que le SIF a organisé le 8 novembre 2022 à Dakar, au Sénégal, sur le thème : Enfance et jeunesse au sahel : facteurs d'exclusion, dynamiques d'inclusion.